Pourquoi se mobiliser pour l’initiative “Save Cruelty free Cosmetics” ?
Nos articles Soapbox nous permettent de donner la parole à des associations expertes des combats qui nous tiennent à cœur, via des articles originaux écrits par ces associations. Nous ne modifions jamais les textes qui nous sont fournis, pour laisser une entière indépendance à l’association et ne pas dénaturer son message (nous nous contentons d’ajouter, si nécessaire, des notes d’explication). Dans cet article, nous donnons la parole à l’association Animal Testing, à l’approche de la date d’échéance de l’initiative citoyenne européenne “Save Cruelty free Cosmetics”.
Les citoyens de l’Union européenne ont jusqu’au 31 août pour signer l’initiative “Save Cruelty Free Cosmetics“, autour de laquelle se mobilisent une coalition d’associations depuis plusieurs mois, dont Animal Testing.
Mais de quoi s’agit-il ? Quelle est la raison de cette initiative ? À quoi cela sert-il ? Tour d’horizon des enjeux pour les animaux de laboratoire.
Pourquoi cette initiative ?
Depuis 2013, le règlement cosmétiques adopté 2009 (disponible ici) entre en application et interdit les expériences sur les animaux pour les ingrédients et les produits finis à usages cosmétiques. Il convient de rappeler que “cosmétiques” n’est pas synonyme de maquillage mais bien de tous les produits d’hygiène, de beauté et d’entretien du corps (gel, douche, shampoings, après-rasage, crèmes solaires, par exemple).
Mais comment sait-on si un produit est considéré comme cosmétique ? Première question à se poser : jusqu’où s’étend la règlementation ?
Le texte de loi précise alors que “l’évaluation permettant de déterminer si un produit est un produit cosmétique doit être effectuée au cas par cas, en tenant compte de l’ensemble des caractéristiques du produit”, suivi d’une longue énumération de catégories1. En somme, il s’agit de produits quotidiens qui ne sont pas des médicaments, des dispositifs médicaux ou des produits biocides.
Ce règlement marque alors un progrès historique et fait suite à de longues années de pression de la part de la société civile, qui espère que tout un pan de la consommation courante sera exclu de l’expérimentation animale, laquelle concerne, rappelons-le, la quasi-totalité des produits que nous utilisons, dans la consommation courante, et des domaines très varié (agricole, industriel, ou même militaire) et ne se cantonne pas à la seule recherche.
Malgré ce règlement, les exceptions sont importantes et vont concerner des composants divers, comme décrit dans cet article. En août 2020, deux décisions de la Cour d’appel de l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) ont, en plus des exceptions déjà prévues par la législation, autorisé l’expérimentation animale pour des substances à usage exclusivement cosmétiques.
Le risque de faire de ce règlement une passoire à exceptions se profile alors clairement, et ce, d’autant plus qu’il entre souvent en conflit avec une autre législation, adoptée en 2006 : celle de REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals) qui entérine les substances chimiques autorisées.
Concrètement, les industriels qui utilisent une substance non répertoriée par le programme REACH ont à prouver que celle-ci n’est pas nocive, ce qui implique que toutes les substances qui n’ont encore jamais été testées doivent l’être même si cela doit passer par des expériences sur les animaux (tests “in vivo”).
Nous sommes donc dans une situation où la règlementation, qui se voulait presque révolutionnaire en 2013, se révèle assez difficile à saisir dans son impact, tant elle autorise les expériences sur les animaux. Ce règlement, marquant une volonté politique, en devient alors presque cosmétique (sans jeu de mots).
Tout l’enjeu de l’initiative citoyenne européenne (ICE) est de clarifier la règlementation en vigueur et de proposer aux instances d’établir une fois pour toutes une ligne de démarcation franche : l’interdiction réelle des expériences pour tous les produits et composants à destination cosmétique.
Quelles sont les mesures défendues ?
1. Garantir et renforcer l’interdiction de l’expérimentation animale pour les cosmétiques.
“Engager une modification législative pour assurer la protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement envers tous les ingrédients cosmétiques sans que ces derniers soient testés sur des animaux quel que soit l’objectif ou le moment.”
En effet, c’est au nom de la sécurité des consommateurs, des travailleurs sur les chaînes de production, ou de l’impact environnemental que bien des expériences sur les animaux peuvent être commanditées.
2. Réformer la réglementation de l’UE relative aux produits chimiques.
“Garantir la protection de la santé humaine et de l’environnement en gérant les produits chimiques sans ajouter de nouvelles exigences en matière d’expérimentation animale.”
Ici la législation REACH est directement interrogée : si l’intention de ce programme est louable, il s’agit d’un retour en arrière colossal en matière de protection animale. Or, la rhétorique utilisée par REACH semble ne laisser aucune place au débat : personne ne saurait s’opposer à la protection de la santé humaine ou à l’impact environnemental. Dès lors, l’expérimentation animale apparaît nécessaire, et sa remise en question impossible.
C’est oublier qu’en matière d’encouragements pour l’utilisation d’autres méthodes, le règlement sur les cosmétiques fut un catalyseur inédit : sous la pression de la législation qui allait entrer en vigueur, des moyens financiers en R&D ont été développés par les laboratoires privés, comme par l’Union européenne, pour permettre de sortir du tout animal.
Le règlement rappelle à juste titre qu’il est « possible d’assurer la sécurité des produits cosmétiques et de leurs ingrédients en utilisant des méthodes alternatives qui ne sont pas applicables à toutes les utilisations des ingrédients chimiques. Il convient donc de promouvoir l’utilisation de ces méthodes dans l’ensemble de l’industrie cosmétique et d’assurer à leur adoption un niveau de protection équivalent aux consommateurs ».
C’est pourquoi l’EPAA (European Partnership on Alternative Approaches to Animal Testing) est instauré et que, dans la perspective de la nouvelle règlementation, qui crispe le secteur, de 2003 à 2009, 13 nouvelles méthodes alternatives sont validées, contre seulement 6 de 1998 à 2002. En clair, la loi a forcé le secteur à s’adapter et à faire autrement. Non seulement les alternatives se sont diffusées mais le secteur cosmétique a lui-même été force d’innovation pour d’autres secteurs ayant recours aux expériences sur animaux.
C’est pourquoi, la troisième mesure soutenue par l’ICE concerne tous les domaines utilisant des animaux de laboratoire.
3. Moderniser la science dans l’UE.
“S’engager en faveur d’une proposition législative établissant une feuille de route pour l’élimination progressive de toutes les expérimentations animales dans l’UE avant la fin de la législature actuelle.”
Si la volonté des citoyens est claire sur le souhait de sortir de l’expérimentation animale, celle des députés européens l’est également : rappelons ici que la Directive européenne de 2010 (applicable en 2013) sur les animaux “utilisés à des fins scientifiques” stipulait déjà la volonté d’abolir l’expérimentation animale à terme.
Le 16 septembre 2021, les députés européens ont réaffirmé ce souhait en session plénière : ils souhaitent l’instauration de « délais pour supprimer progressivement le recours aux animaux dans la recherche et les essais » ainsi qu’« un financement suffisant à moyen et à long termes pour assurer la mise au point, la validation et l’introduction rapides de nouvelles méthodes d’expérimentation, notamment via un financement accru dans le cadre d’Horizon Europe ».
Mais les avancées peinent : la France n’en est qu’au stade de projet sur la création d’un centre des 3R, annoncé le 22 novembre 2021, qui favoriserait le développement des méthodes alternatives aux animaux.
Cette ICE permet d’insister sur la nécessaire concrétisation d’objectifs européens qui semblent faire l’unanimité, tant dans l’opinion publique qu’au niveau politique.
En quoi consistent les expériences en question ?
Ce dont on parle moins, en revanche, sont les expériences elles-mêmes.
La dernière campagne d’Animal Testing dans le métro parisien tentait d’illustrer les expériences tout en respectant cette double condition : rester esthétique et ne pas trop choquer le public.
Vouloir représenter les animaux de laboratoire élude donc toujours le problème de fond : la réalité des expériences.
Certains consommateurs pensent ainsi que l’on met du rouge à lèvres ou du mascara à des rongeurs : malheureusement, c’est loin d’être le cas.
La toxicologie est un pan de l’expérimentation qui présente des protocoles douloureux, allant de la sévérité légère à la plus insupportable. Puisque l’on mesure la toxicité d’une substance, les dégâts suscités chez les animaux sont inéluctables.
Trois types de toxicité existent : aigüe (effets immédiats suite à une administration massive), subaigüe (effets ciblés, sur certains organes, suite à une administration chronique), ou à long terme (à force d’être en présence de l’élément toxique).
Des expériences d’irritations cutanées, oculaires, d’ingestion de produits, de tests de DL50 (Dose létale médiane) sont utilisées, provoquant de grandes souffrances voire l’agonie et la mort des animaux.
Ces expériences ne sont jamais divulguées ou très rarement.
En avril 2021, le laboratoire Vivotecnia, à Madrid, qui pratique des expériences de toxicologie dans le cadre de REACH, a été infiltré par nos homologues britanniques de Cruelty free international révélant toute l’horreur endurée par les animaux.
Le quotidien espagnol Publico — qui parle d’ailleurs de “limbes” juridiques à propos de REACH — dénonçait alors “une dichotomie juridique entre ce qui a lieu dans la société et ce qui se passe dans ces centres”. C’est exactement ce que cette ICE vise à mettre au jour.
Et, pour paraphraser le poète Charles Juliet, s’il existe une marge entre les intentions politiques et la réalité, nous travaillons, chaque jour, à réduire cette marge.
Audrey Jougla
Fondatrice d’Animal Testing
1 “Parmi les produits cosmétiques peuvent figurer les crèmes, émulsions, lotions, gels et huiles pour la peau, les masques de beauté, les fonds de teint (liquides, pâtes, poudres), les poudres pour maquillage, les poudres à appliquer après le bain, les poudres pour l’hygiène corporelle, les savons de toilette, les savons déodorants, les parfums, eaux de toilette et eau de Cologne, les préparations pour bains et douches (sels, mousses, huiles, gels), les dépilatoires, les déodorants et antiperspirants, les colorants capillaires, les produits pour l’ondulation, le défrisage et la fixation des cheveux, les produits de mise en plis, les produits de nettoyage pour les cheveux (lotions, poudres, shampoings), les produits d’entretien pour la chevelure (lotions, crèmes, huiles), les produits de coiffage (lotions, laques, brillantines), les produits pour le rasage (savons, mousses, lotions), les produits de maquillage et démaquillage, les produits destinés à être appliqués sur les lèvres, les produits d’hygiène dentaire et buccale, les produits pour les soins et le maquillage des ongles, les produits d’hygiène intime externe, les produits solaires, les produits de bronzage sans soleil, les produits permettant de blanchir la peau et les produits antirides.”, extrait du règlement européen. RÈGLEMENT (CE) N o 1223/2009 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques
12:11